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Suite de l'interview d'un abolitionniste
--> Complément aux articles sur la peine de mort
Suite de l’interview de Maître Badinter (septembre 1978) J-L S : Alors, y a-t-il ou
non une justification à dire qu’actuellement la société violente dans laquelle
nous sommes rend nécessaire de maintenir des punitions exemplaires et que nous
sommes dans une période trop tendue par rapport à cet apaisement que l’on
attend ? Maître Badinter : Nous
sommes dans une période de grande violence mais en ce qui concerne la
criminalité sanglante elle-même, celle pour laquelle, évidemment, joue la peine
de mort, ce n’est pas le cas, l’augmentation, là, n’est pas sensible. Et, par
ailleurs, vous avez tout ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est-à-dire le fait
que l’on sait maintenant que la criminalité sanglante est indifférente à la
présence ou à l’absence de la peine de mort. (…) Vous avez une double
fonction ; celles-là sont réelles mais ne sont jamais avancées. Dans un pays comme le nôtre,
vous avez une première fonction je dirai de libération de l’angoisse. Tout
crime sanglant fait horreur, et à juste titre, et il fait naître ce que
j’évoquais tout à l’heure, cette espèce de réaction, de pulsion de mort. Le
crime sanglant, c’est nous, c’est notre visage, et c’est le visage de l’homme
que nous ne supportons pas. Par conséquent, il y a, à cet instant-là, dans
cette angoisse, le désir de libération. Et, si on pouvait remonter à l’origine
de la justice, on verrait tout de suite que la libération de l’angoisse
collective devant la peur qui est surexcitée par le crime appelle le sacrifice
rituel, appelle le sacrifice du bouc émissaire pour apaiser les dieux. C’est
très révélateur, parce que vous passez, avec le bouc émissaire, du choix de
n’importe qui au choix apparemment rationnel, techniquement justifié, du
coupable. Et on dit : «Voilà le progrès humain. » Mais quand on
regarde d’encore plus près et qu’on vit dans sa réalité le processus, on se
rend compte que c’est une fausse rationalité. On dit : « On choisira
le coupable », et en réalité, on a guillotiné des innocents. On dit :
« On choisira le coupable responsable », et on guillotine des
demi-déments ou des complets débiles. Par conséquent vous avez, à
cet instant-là, cette évidence qui se dégage pour libérer cette angoisse
collective, comme jadis, comme aux temps
des vieux sacrifices aux totems : on utilise la peine de mort. Cela
apaise, un instant, la collectivité angoissée. (…) Vous avez une sorte
d’alibi de la peine de mort. Au lieu d’aller à l’essentiel, les causes du
crime, vous dites : « Eh bien nous serons fermes avec les
criminels ». Vous escamotez les difficultés du problème. (…) On conservera une peine de
mort inutile en partant du constat de son inutilité : que vous l’ayez ou
que vous ne l’ayez pas, vous vous trouverez en présence des mêmes problèmes de
criminalité et de violence sanglante. C’est cela le point dont il faut partir. (…) J-L S : Tout ce qui tourne autour de la peine capitale est
toujours empreint d’un sombre pathos, en particulier le problème de
l’exemplarité. Si c’était exemplaire, pourquoi est-ce qu’on n’exécute pas en
public, et pourquoi est-ce qu’on ne le montre pas à la télévision ? On
aurait incontestablement un effet plus grand. Maître Badinter : Vous savez, si on a emprisonné la guillotine,
c’est sans doute parce qu’on n’en était pas fier. C’est Gambetta, au moment du
débat sur la nécessité d’exécuter dans la cour de J-L S : Un record d’écoute, mais un record d’horreur, non ? Maître Badinter : Je ne sais pas. Je ne sais pas, je ne suis pas
si optimiste sur la nature humaine. L’Histoire est là pour nous dire que le
spectacle de l’exécution a toujours fait recette. J-L S : Oui, il a fait recette parce qu’il y a toujours une
certaine partie de la population qui est prête à se ruer. Je crois que cela a
été le cas pour la dernière exécution capitale publique en 1939. Maître Badinter : Celle de Weidmann, oui. J-L S : À Versailles. Maître Badinter : Un véritable scandale. J-L S : Il y a eu une espèce de kermesse populaire autour de cette
exécution, mais on peut imaginer que c’étaient des gens qui y avaient un
intérêt direct. Votre sentiment sur la nature humaine des Français, c’est que
la majorité d’entre eux ont cet appétit sanglant ? Maître Badinter : Non, pas celle des Français en particulier. Les
Français ne sont pas différents des autres, ils ont la même sensibilité que les
autres peuples occidentaux. Je crois que cela fascinerait, ferait horreur en
même temps, mais que le pouvoir de fascination l’emporterait sur l’horreur. Je
ne crois pas, en tout cas, que ce soit la solution que d’exhiber publiquement
la guillotine. Ce n’est pas dans cette direction-là que nous devons aller,
c’est dans sa suppression. J-L S : Mais il y a des problèmes modernes, qui ne sont pas
seulement la grande criminalité sanglante ancienne, qui servent de
justification à la peine de mort, en particulier le cas du terrorisme, puisque
le terroriste s’attaque de manière aveugle aux innocents, puisque – on l’a vu
en Italie avec les Brigades Rouges – on dit : « N’ayant pas la peine
de mort, la société n’est pas armée ». (…) Maître Badinter : Il n’est pas douteux que les terroristes,
lorsqu’ils se conduisent comme ils l’ont fait à l’égard de Moro, sont tout
simplement des bourreaux et des bourreaux qui agissent, eux aussi, pour libérer
leurs pulsions et leurs angoisses de mort. Quant à croire que l’on va ou que
l’on peut arrêter le terrorisme en utilisant la peine de mort, c’est un leurre.
Et d’ailleurs, il suffit de regarder à cet égard, l’expérience internationale,
j’y reviendrai dans un instant. Mais pourquoi est-ce un
leurre ? La question est très importante. D’abord, dans le cas des terroristes,
l’idée qu’ils vont reculer devant la mort est une absurdité. Je crois qu’en
général les hommes ne sont pas arrêtés par la mort, sinon il y a longtemps
qu’il n’y aurait plus de guerres et il n’y aurait plus non plus de chauffards
sur les routes. Mais, dans le cas des terroristes, il y a une espèce
d’engagement mortel et, quand ils se lancent dans une de leurs entreprises –
par exemple la prise d’otages aériens – ils savent qu’à un instant ou à un
autre de cette entreprise ils vont ou ils peuvent rencontrer la mort. Et ça ne
les arrête pas, il y a au contraire une espèce de fascination de la mort qui
joue dans le cas du terrorisme. Donc, se dire que c’est par peur de la mort
qu’ils vont s’arrêter, c’est un leurre. Alors, on pense purement et
simplement à la liquidation physique de l’adversaire dans la proposition que
vous faites, à l’élimination. Je répondrai en disant que ce qu’il y a de tout à
fait remarquable en ce qui concerne le terrorisme c’est que, si vous exécutez
le terroriste, à cet instant-là vous le changez presque de nature ; à la
limite, je dirai que vous le transfigurez, que vous en faites d’un seul coup,
par une espèce de rédemption due au châtiment, je ne dis pas une sorte de
héros, mais pour certains, un homme qui est allé jusqu’au bout de sa destinée.
J’ai été très frappé de constater, l’année dernière, lorsque Baader est mort –
beaucoup ont dit qu’il avait été exécuté – à quel point on a, parmi certains,
oublié le criminel terrible qu’avait été Baader et les crimes sanglants qu’il avait
commis. D’un seul coup, il était devenu une espèce de symbole de celui qui, par
une véritable et irrésistible passion révolutionnaire, est allé jusqu’au bout
de sa cause. C’est un délire, mais j’en ai noté les conséquences sur certains.
Il y a une transfiguration, on dirait que la mort le grandit et que la mort
transforme celui qui avait été un criminel et, à mon sens, un criminel porté
par une sorte de délire paranoïaque : il est transformé d’un seul coup en
héros révolutionnaire. Alors, loin d’arrêter par l’exemplarité, vous
transformez, par la mort, et vous suscitez des vocations. Vous avez, à ce
moment-là, des martyrs. Et je reviens aux considérations internationales :
c’est pour ça que les pays qui sont le plus directement menacés par le terrorisme
ne rétablissent pas la peine de mort. Je prends, par exemple, le cas de l’Etat
d’Israël qui, entre tous, est le plus directement menacé : si vous
interrogez ses dirigeants, ils diront tous : « Non, en aucun cas,
parce que, si nous exécutons, une fois que nous l’avons pris – il est resté,
par exemple, blessé au moment de l’action – un terroriste, et que nous le
pendons, nous susciterons des vocations plus nombreuses encore chez d’autres,
chez certains jeunes gens. Et, par conséquent, nous aurons surmultiplié le
risque du terrorisme, loin de lutter contre ». Ecrit par Hurricane, le Vendredi 10 Février 2006, 11:46 dans la rubrique "Actualités".
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