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La rencontre amoureuse
--> (suite du dossier)
Voici deux autres extraits de textes préromantiques qui ont pour thème la rencontre amoureuse et sur lesquels vous pouvez réagir :
Abbé Prévost ; « Manon Lescaut » J'avais dix-sept ans, et j'achevais mes études de philosophie à Amiens, où
mes parents, qui sont d'une des meilleures maisons de P., m'avaient envoyé. Je
menais une vie si sage et si réglée, que mes maîtres me proposaient pour
l'exemple du collège. Non que je fisse des efforts extraordinaires pour mériter
cet éloge, mais j'ai l'humeur naturellement douce et tranquille : je
m'appliquais à l'étude par inclination, et l'on me comptait pour des vertus
quelques marques d'aversion naturelle pour le vice. Ma naissance, le succès de
mes études et quelques agréments extérieurs m'avaient fait connaître et estimer
de tous les honnêtes gens de la ville. J'achevai mes exercices publics avec une
approbation si générale, que Monsieur l'Évêque, qui y assistait, me proposa d'entrer
dans l'état ecclésiastique, où je ne manquerais pas, disait-il, de m'attirer
plus de distinction que dans l'ordre de Malte, auquel mes parents me
destinaient. Ils me faisaient déjà porter la croix, avec le nom de chevalier
des Grieux. Les vacances arrivant, je me préparais à retourner chez mon père,
qui m'avait promis de m'envoyer bientôt à l'Académie. Mon seul regret, en
quittant Amiens, était d'y laisser un ami avec lequel j'avais toujours été
tendrement uni. Il était de quelques années plus âgé que moi. Nous avions été
élevés ensemble, mais le bien de sa maison étant des plus médiocres, il était
obligé de prendre l'état ecclésiastique, et de demeurer à Amiens après moi,
pour y faire les études qui conviennent à cette profession. Il avait mille bonnes
qualités. Vous le connaîtrez par les meilleures dans la suite de mon histoire,
et surtout, par un zèle et une générosité en amitié qui surpassent les plus
célèbres exemples de l'antiquité. Si j'eusse alors suivi ses conseils, j'aurais
toujours été sage et heureux. Si j'avais, du moins, profité de ses reproches
dans le précipice où mes passions m'ont entraîné, j'aurais sauvé quelque chose
du naufrage de ma fortune et de ma réputation. Mais il n'a point recueilli
d'autre fruit de ses soins que le chagrin de les voir inutiles et, quelquefois,
durement récompensés par un ingrat qui s'en offensait, et qui les traitait
d'importunités. Madame de Staël ; « Corinne » Corinne est une poétesse italienne qui est honorée par la ville de Rome
lors d’une manifestation donnée en son honneur … Le sénateur prit la couronne de myrte et de laurier qu'il devait placer sur la tête de Corinne. Elle détacha le schall qui entourait son front ; et tous ses cheveux, d'un noir d'ébène, tombèrent en boucles sur ses épaules. Elle s'avança la tête nue, le regard animé par un sentiment de plaisir et de reconnaissance qu'elle ne cherchait point à dissimuler. Elle se remit une seconde fois à genoux pour recevoir la couronne, mais elle paraissait moins troublée et moins tremblante que la première fois; elle venait de parler, elle venait de remplir son âme des plus nobles pensées, l'enthousiasme l'emportait sur la timidité. Ce n'était plus une femme craintive, mais une prêtresse inspirée qui se consacrait avec joie au culte du génie. Quand la couronne fut placée sur la tête de Corinne, tous les instruments se firent entendre, et jouèrent ces airs triomphants qui exaltent l'âme d'une manière si puissante et si sublime. Le bruit des timbales et des fanfares émut de nouveau Corinne; ses yeux se remplirent de larmes, elle s'assit un moment, et couvrit son visage de son mouchoir. Oswald, vivement touché, sortit de la foule, et fit quelques pas pour lui parler, mais un invincible embarras le retint. Corinne le regarda quelque temps, en prenant garde néanmoins qu'il ne remarquât qu'elle faisait attention à lui ; mais lorsque le prince Castel-Forte vint prendre sa main pour l'accompagner du Capitole à son char, elle se laissa conduire avec distraction, et retourna la tête plusieurs fois, sous divers prétextes, pour revoir Oswald. Il la suivit ; et, dans le moment où elle descendait l'escalier accompagnée de son cortège, elle fit un mouvement en arrière pour l'apercevoir encore : ce mouvement fit tomber sa couronne. Oswald se hâta de la relever, et lui dit en la lui rendant quelques mots en italien, qui signifiaient que les humbles mortels mettaient aux pieds des dieux la couronne qu'ils n'osaient placer sur leurs têtes . Corinne remercia lord Nelvil, en anglais, avec ce pur accent national, ce pur accent insulaire qui presque jamais ne peut être imité sur le continent. Quel fut l'étonnement d'oswald en l'entendant! Il resta d'abord immobile à sa place, et, se sentant troublé, il s'appuya sur un des lions de basalte qui sont au pied de l'escalier du Capitole. Corinne le considéra de nouveau, vivement frappée de son émotion ; mais on l'entraîna vers son char, et toute la foule disparut longtemps avant qu'oswald eût retrouvé sa force et sa présence d'esprit. Corinne jusqu'alors l'avait enchanté comme la plus charmante des étrangères, comme l'une des merveilles du pays qu'il voulait parcourir; mais cet accent anglais lui rappelait tous les souvenirs de sa patrie, cet accent naturalisait pour lui tous les charmes de Corinne. Etait-elle Anglaise ? avait-elle passé plusieurs années de sa vie en Angleterre? Il ne pouvait le deviner; mais il était impossible que l'étude seule apprît à parler ainsi, il fallait que Corinne et lord Nelvil eussent vécu dans le même pays. Qui sait si leurs familles n'étaient pas en relation ensemble?
Peut-être même l'avait-il vue dans son enfance ! On a souvent dans le coeur je ne sais quelle image innée de ce qu'on aime, qui pourrait persuader qu'on reconnaît l'objet que l'on voit pour la première fois. (...) Le lendemain, Lord Oswald Nelvil est présenté à Corinne grâce à l'un de leurs amis communs ...
Corinne enfin parut; elle était vêtue sans aucune recherche, mais toujours pittoresquement. Elle avait dans ses cheveux des camées antiques, et portait à son cou un collier de corail. Sa politesse était noble et facile ; en la voyant ainsi familièrement au milieu du cercle de ses amis, on retrouvait en elle la divinité du Capitole, bien qu'elle fût parfaitement simple et naturelle en tout. Elle salua d'abord le comte d'Erfeuil, en regardant Oswald, et puis, comme si elle se fût repentie de cette espèce de fausseté, elle s'avança vers Oswald ; et l'on put remarquer qu'en l'appelant lord Nelvil, ce nom semblait produire un effet singulier sur elle, et deux fois elle le répéta d'une voix émue, comme s'il lui retraçait de touchants souvenirs. Enfin, elle dit en italien à lord Nelvil quelques mots pleins de grâce sur l'obligeance qu'il lui avait témoignée la veille en relevant sa couronne. Oswald lui répondit en cherchant à lui exprimer l'admiration qu'elle lui avait inspirée, et se plaignit avec douceur de ce qu'elle ne lui parlait pas en anglais. - Vous suis-je, ajouta-t-il, plus étranger qu'hier ? - Non, assurément, lui répondit Corinne; mais, quand on a comme moi parlé plusieurs années de sa vie deux ou trois langues différentes, l'une ou l'autre est inspirée par les sentiments que l'on doit exprimer. - Sûrement, dit Oswald, l'anglais est votre langue naturelle, celle que vous parlez à vos amis, celle..... - Je suis Italienne, interrompit Corinne, pardonnez-moi, mylord, mais il me semble que je retrouve en vous cet orgueil national qui caractérise souvent vos compatriotes. Dans ce pays, nous sommes plus modestes, nous ne sommes ni contents de nous comme des Français, ni fiers de nous comme des Anglais. Un peu d'indulgence nous suffit de la part des étrangers ; et comme il nous est refusé depuis longtemps d'être une nation, nous avons le grand tort de manquer souvent, comme individus, de la dignité qui ne nous est pas permise comme peuple ; mais quand vous connaîtrez les Italiens, vous verrez qu'ils ont dans leur caractère quelques traces de la grandeur antique, quelques traces rares, effacées, mais qui pourraient reparaître dans des temps plus heureux. Je vous parlerai anglais quelquefois, mais pas toujours; l'italien m'est cher : j'ai beaucoup souffert, dit-elle en soupirant, pour vivre en Italie. Le comte d'Erfeuil fit des reproches aimables à Corinne de ce qu'elle l'oubliait tout-à-fait en s'exprimant dans des langues qu'il n'entendait pas. - Belle Corinne, lui dit-il, de grâce, parlez français, vous en êtes vraiment digne. Corinne avait beaucoup de gaieté dans l'esprit. Elle apercevait le ridicule avec la sagacité d'une Française, et le peignait avec l'imagination d'une Italienne ; mais elle mêlait à tout un sentiment de bonté : on ne voyait jamais rien en elle de calculé ni d'hostile ; car en toute chose c'est la froideur qui offense, et l'imagination, au contraire, a presque toujours de la bonhomie. Oswald trouvait Corinne pleine de grâce et d'une grâce qui lui était toute nouvelle. Une grande et terrible circonstance de sa vie était attachée au souvenir d'une femme française très aimable et très spirituelle; mais Corinne ne lui ressemblait en rien : sa conversation était un mélange de tous les genres d'esprit, l'enthousiasme des beaux arts et la connaissance du monde, la finesse des idées et la profondeur des sentiments ; enfin tous les charmes de la vivacité et de la rapidité s'y faisaient remarquer, sans que pour cela ses pensées fussent jamais incomplètes, ni ses réflexions légères. Oswald était tout à la fois surpris et charmé, inquiet et entraîné; il ne comprenait pas comment une seule personne pouvait réunir tout ce que possédait Corinne; il se demandait si le lien de tant de qualités presque opposées était l'inconséquence ou la supériorité; si c'était à force de tout sentir, ou parce qu'elle oubliait tout successivement, qu'elle passait ainsi, presque dans un même instant, de la mélancolie à la gaieté, de la profondeur à la grâce, de la conversation la plus étonnante, et par les connaissances et par les idées, à la coquetterie d'une femme qui cherche à plaire et veut captiver; mais il y avait dans cette coquetterie une noblesse si parfaite, qu'elle imposait autant de respect que la réserve la plus sévère.
Ecrit par Hurricane, le Jeudi 9 Mars 2006, 13:47 dans la rubrique "Textes".
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