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Fin de l'interview d'un abolitionniste
Il vous est possible de réagir à cet article ou aux deux précédents en notant vos sentiments à la fin du texte ci-après. Merci par avance.
Interview d'un abolitionniste (3° partie) J-L S : Cela fait, je crois, exactement un an qu'on a exécuté pour la dernière fois en France. Maître Badinter : Oui, un an oui. Et, pour la première fois en France, il n'y a plus de condamnés à mort, à cause des cassations intervenues, dans les prisons françaises. Mais une pratique qui se réduit, aujourd'hui, à très peu, ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas plus horrible. Je dirai même que le fait même qu'on pense que cela peut-être la dernière exécution ne la rend pas moins tragique, mais plus dérisoire encore. Donc le problème est essentiellement moral. Et, à cet égard, chacun est en présence de sa conscience : il y a ceux qu pensent qu'on doit tuer un homme et ceux qui ne l'acceptent pas. (…) Nous sommes dans une société qui est en crise de valeurs. Cela paraît toujours pompeux quand on le dit, mais c'est vrai ; et le respect de la vie, le respect de l'autre, c'est cela qui est sacralisé par l'abolition. C'est pourquoi c'est un problème tellement important pour une société comme la nôtre. Ce n'est pas un problème de lutte ou de criminologie, c'est un problème moral, c'est un problème de valeurs. Et ce sont des choix fondamentaux pour chacun d'entre nous. (…) On dit : " Les Assises … " Il faut avoir vécu cela. Qu'est-ce que c'est qu'une peine de mort ? Abandonnons les abstractions. Ce sont douze hommes qui en voient un treizième à 4, 5, 6 mètres d'eux ; ils le voient et ils le voient, quelquefois, à une distance telle qu'ils ne peuvent même pas saisir son regard. Il est bloqué dans son rôle d'accusé, il y a un dossier que le Président seul a lu et, au fond, on demande à d'autres hommes de dire que cet homme ne doit pas vivre. Ils ne le connaissent pas, et c'est cela qui est saisissant : c'est que toute la machine judiciaire est faite de telle façon qu'on demande à des hommes d'en condamner un autre sans qu'ils puissent le connaître réellement. Le psychiatre est là pour fournir des explications, pour servir d'alibi, peu importe, ce n'est pas sérieusement la connaissance de la personnalité. Donc on donne, à cet instant, à des hommes et à des femmes, la plus lourde responsabilité qui soit : on leur donne un pouvoir sur la vie de l'autre alors que finalement, on ne leur donne pas les éléments qui permettraient de se décider. On ne pourrait d'ailleurs pas y parvenir tant l'être humain est complexe. Donc, vous vous heurtez à une espèce d'impossibilité. Et là apparaît la fonction, non plus sur la peine de mort, mais du jury en tant que moyen de maintenir la peine de mort. Parce que tout le cérémonial judiciaire est organisé de telle façon qu'il y a cette espèce de distanciation, qu'on ne voit pas l'homme, qu'on ne voit que l'acte. L'acte faisant horreur, on pense que les jurés, dans un sursaut d'horreur, se débarrasseront de celui qui est en face. Mais on met en œuvre tous les moyens pour que, précisément, on oublie l'homme qui est là. Et c'est là où des hommes de justice ne peuvent pas ne pas dire : " Cela ne va pas, ce n'est pas possible, celui qui doit assumer cette décision doit la refuser. " J-L S : Il y a quelque chose de caractéristique du système français : c'est qu'en principe c'est un jugement définitif alors que dans beaucoup de pays étrangers, on peut faire appel. En France, on ne fait pas appel de la peine de mort. On demande un jugement en Cassation, mais on ne peut pas faire appel. Maître Badinter : Oui, c'est une des bizarreries mais ce n'est pas propre à la peine de mort, c'est toute notre justice criminelle qui, je dirai, marche à l'envers. Monsieur Servan-Schreiber si je vous dérobe votre imperméable, j'aurai droit à un tribunal correctionnel, à la Cour d'Appel puis au contrôle par la Cour de Cassation. Mais si vous tuez père et mère, à cet instant-là vous serez jugé une seule fois. C'est-à-dire que là où il y a le plus de risques d'erreurs, où l'enjeu est le plus grave, on ne vous donne qu'une seule chance au départ. C'est d'ailleurs pour cela que la Cour de Cassation casse beaucoup plus souvent dans le cas des condamnations à mort que dans les autres affaires, c'est quelque chose d'absurde : de toute façon, en matière criminelle, il est tout à fait temps d'établir un double degré de juridiction parce que la marge d'erreur est possible et que les conséquences sont si graves qu'on ne peut pas ne pas donner, dans les cas les plus graves, ce que l'on donne dans les cas les plus légers. C'est encore plus vrai dans le cas de la peine de mort, bien entendu. J-L S : Un des arguments avancés en faveur de son maintien par certains c'est : si on supprime la peine de mort, c'est un peu la pierre angulaire du système français qui est touchée et tout notre système judiciaire devient un peu faussé s'il n'y a plus le châtiment suprême. Faut-il à cette occasion, réformer complètement la justice ou peut-on le faire simplement sans rien changer ? Maître Badinter : On n'a pas prêté assez d'attention - et ce n'est pas un hasard - au fait que le comité sur la violence que présidait M. Peyrefitte s'est prononcé pour l'abolition. Pourquoi ? Nous évoquions des instances morales : Amnesty, l'Eglise catholique ; d'une certaine manière, on s'attend à ce qu'elles soient contre la peine de mort. Mais, dans le cas du comité sur la violence, c'était un comité composé de personnalités qui avaient été choisies pour leurs compétences, leur indépendance et l'intensité de leur réflexion sur le problème de la violence et du crime, et leur mission était de fournir au gouvernement les moyens de lutter contre la violence. Or, dans les recommandations, il prône l'abolition de la peine de mort. C'est-à-dire que non seulement, à cet instant, il vient dire : " La peine de mort est inutile. ", mais il va plus loin, il dit : " Il faut abolir la peine de mort. " Et ceci se situe dans la recherche des moyens de lutter contre la criminalité sanglante. Qu'est-ce que cela veut dire ? Simplement que ces femmes et ces hommes ont considéré que l'existence de la peine de mort dans notre système judiciaire bloquait les progrès de ce système judiciaire … Je vous disais tout à l'heure que nous sommes dans une justice d'actes. Et, en effet, la peine de mort c'est simplement la prise en considération d'un acte horrible en oubliant tout ce qu'il y a de complexe et d'insaisissable et, finalement d'irresponsable devant tout être humain. C'est l'affirmation ultime de la justice d'actes. Vous vous tournez vers l'homme, les choses changent. A ce moment-là, se pose le problème dans des termes différents : c'est pourquoi at-il fait cela ? Et que faire de lui ? Cela ne veut pas dire l'éliminer, cela veut dire s'interroger et prendre les mesures convenables pour qu'il puisse changer, sur un très long temps. Alors, lorsque le comité sur la violence vient dire : " Abolissez. " cela veut dire, dans le cadre d'une politique nouvelle qui s'attache à lutter contre les causes de la criminalité, que vous ne pouvez pas conserver ce symbole, il faut le faire disparaître. Je dirai aussi que le changement des méthodes pénitentiaires, la prise de conscience que pose le problème de la prison, passent aussi par l'abolition. J-L S : Vous avez cité la position du comité sur la violence qui était composé de non-spécialistes, de sociologues … Maître Badinter : De magistrats, de criminologues et de M. Peyrefitte. J-L S : De M. Peyrefitte, c'était avant qu'il soit ministre. Maître Badinter : Immédiatement avant. J-L S : Il y a un autre Comité qui s'est prononcé, plus récemment encore : c'est le Comité de réforme du Code pénal et, lui, s'est prononcé pour le maintien de la peine de mort dans un certain nombre de circonstances exceptionnelles. On rentre dans le débat presque détaillé de ce qui est en cause en ce moment. Au fond, très peu de gens, même dans la partie la plus favorable à la peine de mort, se prononcent ouvertement pour la peine de mort ; ceux qui veulent la maintenir disent : " Il ne faut la maintenir que dans des cas très rares, des crimes odieux. " Est-ce que ce n'est pas une voie pour avancer d'un pas de plus vers l'abolition ? Maître Badinter : Cela n'a pas de sens. Quand on dit : " Je suis contre la peine de mort, mais je suis pour quand il s'agit de crimes odieux. ", on dit quoi ? On dit une absurdité ou pire. J-L S : C'est ce qui est appliqué en ce moment. Maître Badinter : C'est simplement l'évidence : personne ne rêve de l'utilisation de la peine de mort pour les infractions mineures. On ne va pas penser à utiliser la guillotine pour le vol d'un lapin, ni même pour les délits financiers. J-L S : Cela a été le cas au XIX° siècle. Maître Badinter : Oui, cela a été le cas au XIX° siècle et je vous signale que, lorsqu'en Angleterre, on a décidé pour la première fois, qu'on ne condamnerait plus à mort pour les atteintes à la propriété, un chœur de vieux magistrats s'est levé pour dire : " C'est la plus fatale innovation qu'aura jamais connu la justice anglaise. " C'est toujours la même réaction. Mais quand on dit : " Je la conserve pour les crimes odieux. " cela veut dire : " Je la conserve tout simplement. " Et quant à dire : " Il faut la garder mais ne la garder que lorsqu'il y a mort d'enfant ou de vieille femme. ", c'est une absurdité, parce que toutes les morts sont affreuses et toutes les victimes sont pitoyables. Et la femme de quarante ans tuée a autant de prix pour ceux qui l'aiment, que la vieille femme. Et l'homme qui est enchaîné et abattu a autant de valeur humaine que l'enfant et il est également sans défense. Cela mobilise plus notre sensibilité, mais on ne peut pas peser comme ça la valeur des vies humaines. Non, les choses sont plus simples. Ou bien on croit à la peine de mort et, dans ce cas-là, on la conserve. Ou bien l'on n'y croit pas et, dans ce cas, il faut l'abolir. C'est aussi simple que cela. Le reste, ce sont de faux-fuyants et ce sont des accommodements pour ne pas déplaire à l'opinion publique. Ce sont des trucs. J-L S : Ce sera ma dernière question : est-ce que vous pensez quand même que vous serez l'un des derniers grands avocats d'assises à avoir été amené à devoir sauver des têtes ? Maître Badinter : Monsieur servan-Schreiber, je le dis toujours, il n'y a pas de grands et de petits avocats. Cela ne se mesure pas à la taille. J-L S : Il y en a de plus ou moins connus. Maître Badinter : Il y a des avocats qui sont impliqués dans des affaires qui passionnent l'opinion publique, c'est une question de circonstances. Pour le reste, ce sont tous des avocats. Je crois, pour ma part, qu'en effet, si Dieu me prête vie et que je raconte, dans quinze ou vingt ans, à mes étudiants, une exécution et que je leur explique que, devant moi, des avocats généraux ont demandé la peine de mort, et que j'ai même vu des jurés la prononcer, ils me regarderont comme une sorte de survivant d'un autre âge. Sûrement, je serai à leurs yeux, encore plus vieux que je ne le serai. J-L S : Donc, cela veut dire que, bien que vous n'y croyiez pas pour tout de suite, c'est pour bientôt ? Maître Badinter : C'est inévitable et je dirai que je crois que c'est pour demain. J-L S : Je vous remercie, Robert Badinter. Ecrit par Hurricane, le Dimanche 12 Février 2006, 21:26 dans la rubrique "Actualités".
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